Les produits anti-âge, c’est un marché dingue à double titre : 1, quand j’entre dans une pharmacie, toutes les pubs sont pour des produits anti-âge, et 2, comment peut-on croire qu’en appliquant une crème sur la peau, on va réparer les cellules et inverser le processus de vieillissement ?
Les efforts de recherche en matière d’ingrédients anti-âge atteignent un niveau inégalé. De nouvelles innovations technologiques sont promues tous les mois, des labos de biotechnologies atteignent des valorisations titanesques. Pourquoi ? Je ne vais pas tomber dans des débats philosophiques sur le culte de la jeunesse de la société occidentale, ce n’est pas mon sujet. Mais, si des milliards d’euros sont dépensés chaque année pour le marketing et la publicité des crèmes anti-âge, c’est qu’il s’agît d’un marché énorme, d’autant plus qu’une crème anti-âge est vendue plus cher qu’une simple crème, sans doute pour une question de crédibilité. Pour la renforcer, le packaging et le vocabulaire utilisé se veulent aussi très scientifique ou médical. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’un cosmétique est vendu dans une pharmacie que c’est un médicament, ça reste un cosmétique, qui n’a pas d’action médicamenteuse.
Mais il est clair que dans notre société contemporaine, nous avons tous envie de croire que nous pouvons ralentir les effets du temps, que nous avons tous envie d’avoir l’impression de faire quelque chose de décisif pour garder une apparence plus jeune. Des crèmes peuvent contribuer à améliorer l’équilibre superficiel de l’épiderme, parmi d’autres actions pour améliorer notre équilibre général et limiter la dégradation progressive de notre organisme. Bon, cette dernière phrase ne vend pas du rêve, je vais vous perdre en route, mais comment pouvons-nous nous laisser convaincre par ces messages, avec un vocabulaire certes très technique et émaillé de néologismes, qui nous font croire que les ingrédients de notre crème vont avoir un effet sur notre ADN, pénétrer au plus profond de la mécanique cellulaire de notre peau et la réparer ? C’est un conte de fées. Les termes liftant, remodelant, restructurant, rajeunissant et autres ne sont pas très sérieux. Les mesures énoncées non plus, car elles tiennent plus souvent de l’avis utilisateur sur un petit nombre de personnes.
Pour faire fonctionner cette industrie du rêve, la recherche cosmétique tourne à plein régime, et a élaboré de nombreuses nouvelles substances (qui ne sont cependant pas des médicaments, mais des soins cosmétiques).
Le premier dont vous avez entendu parler était sans doute le collagène : le collagène tel quel ne sert à rien, il ne va pas pénétrer dans la peau car il est composé de trop grosses molécules, donc en réalité, on trouve des peptides de collagène, obtenus en cassant les liens peptidiques pour avoir des molécules d’acides aminés plus petites.
En pratique, on retrouve souvent du collagène hydrolysé (par hydrolyse enzymatique au départ de gélatine issue d’os et de peau de poulets ou de porcs puis de collagène dit marin issu des déchets de poissons gras). Ce procédé scinde le collagène en molécules plus petites, appelées peptides de collagène, qui sont vendues en supplément alimentaire. Cela pose la question de la qualité des protéines de base utilisées et de qualité de l’hydrolyse (par exemple on peut retrouver des métaux lourds dans les poissons gras).
Il existe de très nombreux peptides plus ou moins longs (ce sont des polymères d’acides aminés avec des liaisons peptidiques) : en cosmétique par exemple, on utilise des peptides courts qui ont une fonction de messager avec un acide gras, comme le palmitoyle oligopeptide Pal-VGVAPG-OH, qui stimule la prolifération des fibroblastes qui sécrètent l’élastine, ou le palmitoyle oligopeptide Pal-GHK-OH qui stimule la production de collagène. C’est le laboratoire Sederma qui a élaboré ces lipopeptides, permettant la pénétration transépidermique en greffant un C16 sur le peptide. Il y a des évolutions avec les matrikines et glycokines, ayant donné les fameux Matrixyl et Argireline que de nombreux cosmétiques anti-âge intègrent dans leur formule.
Vous avez aussi sans doute vu beaucoup de publicités parlant de rétinol, présenté dans des soins pour stimuler la production de collagène (vitamine A1 composé chimique dérivé de la vitamine A). Le rétinol est assez critiqué (il y a presque un mouvement anti-rétinol) car il a provoqué des intolérances et des réactions ; de nouvelles formes ont été élaborées, mais en termes d’image, les labos préfèrent aujourd’hui promouvoir l’acide hyaluronique, mieux vu et mieux toléré. En fait, plutôt que le rétinol, on trouve maintenant d’autres actifs fonctionnellement similaires d’origine végétale, par exemple le bakuchiol.
Toujours en tête d’affiche donc, l’acide hyaluronique ou le sodium hyaluronate dans les cosmétiques (polysaccharide naturel), qui a la propriété remarquable de pouvoir capter de gros volumes d’eau. Il existe différentes tailles de molécules, le bas poids moléculaire qui correspond aux plus petites molécules étant supposé pouvoir pénétrer plus profondément. L’acide hyaluronique est produit par biotechnologie, par fermentation de blé, maïs ou soja par des bactéries lactiques. Comme il peut retenir beaucoup d’eau, l’acide hyaluronique donne rapidement l’impression de regonfler la peau (de repulper dans le vocabulaire marketing cosmétique). L’acide hyaluronique fait l’objet d’une grosse promotion par l’industrie cosmétique au motif qu’il est largement présent naturellement dans le corps (et aussi qu’il est bien toléré), et il est présenté comme un ingrédient miracle anti-âge. Mais notre métabolisme le détruit et son effet n’est pas durable, c’est très cosmétique, c’est-à-dire que cela améliore l’apparence mais pas durablement. Et est-ce une bonne idée d’habituer la peau à un apport artificiel quotidien d’acide hyaluronique ? Les amateurs passent de la crème à l’injection, puis à des injections de plus en plus fréquentes, et là, on entre dans une zone un peu plus risquée.
The Ordinary (du groupe Deciem) est la marque culte des jeunes américaines, car elle a popularisé à prix très accessible ce type de molécules. Leurs produits adoptent une présentation assez scientifique de formules brutes (acide hyaluronique, niacinamide, acide polyglutamique, etc) mais ils commercialisent également des produits de soin de la peau à l’origine beaucoup plus naturels comme l’argan et la bourrache. L’acide polyglutamique (PGA) listé dans les exemples est un peptide humectant obtenu par fermentation de graines de soja. Hydratant, il retient beaucoup d’eau, comme l’acide hyaluronique, mais à la différence de celui-ci, il n’est pas présent naturellement dans la peau, et bénéficie donc de moins de sympathie.
Ce fabricant a aussi contribué à populariser une vitamine, la niacinamide (une des formes de la vitamine B3, cousine de la niacine, B3 ou PP), qui existe aussi en complément alimentaire. En application cutanée, c’est utilisé contre l’acné, pour réduire les rougeurs et apaiser grâce à son effet anti-inflammatoire. Mais elle est intégrée plus largement dans les préparations pour tous les types de peaux car réputée stimuler la synthèse des lipides (les céramides) permettant d’améliorer la barrière hydrolipidique. Elle rencontre un succès croissant car elle est bien tolérée et assez stable. La niacinamide est aussi produite par biotechnologie, par fermentation bactérienne.
Plusieurs autres acides sont tendance, par exemple l’acide azéloïque contre les imperfections, qui est issu de fermentation de blé, seigle ou orge, mais aussi d’origine synthétique. Attention car ce type de produit actif peut-être allergisant et même photosensible. C’est aussi le cas de l’acide glycolique (le petit AHA), un exfolient extrait de canne à sucre ou de betterave.
Un des grands types d’ingrédients-stars des soins de la peau est constitué par la petite famille des céramides, qui sont des lipides composant en gros le ciment intercellulaire de la peau (mais ayant également des rôles de signalisation lipidique). Ils sont appréciés pour leur forte action relipidante, et sont également utiles contre l’acné et les imperfections en aidant à rééquilibrer l’épiderme. Sa production est synthétique, issue d’extraits d’huile de jojoba ou de tournesol notamment, assez riches en sphyngolipides, ou bien de blé ou de riz (au départ, ils étaient produits à partir d’extraits de cerveau de bœuf). Ils sont bien tolérés, il y a néanmoins une question de qualité de l’ingrédient, dans lequel il est important d’évaluer la richesse en vrais céramides. On trouve de la poudre de céramides de konjac importée de Chine dont il est difficile de garantir la qualité par exemple.
Parmi les composés d’origine végétale, on utilise en cosmétique les polyphénols (qui regroupent les acides phénoliques, flavonoïdes, tanins, anthocyanines), plus précisément les biophénols qui ont des propriétés antioxydantes, censés aider à disperser les radicaux libres. Ce sont des molécules aromatiques du métabolisme secondaire des plantes, les aidant à lutter contre les agressions externes, présents dans les couches supérieures des plantes et participant à de nombreux processus physiologiques. Plus de 500 polyphénols ont été identifiés à l’état naturel, en particulier dans les fruits et légumes et contribuent à leur saveur (fruits rouges, raisins, pommes, pamplemousses, oignons, café, thé, algues…), et ils seraient utiles dans l’alimentation contre les maladies cardio-vasculaires et la prévention de la formation des tumeurs. En cosmétique, ils sont intégrés dans les préparations afin de lutter contre le vieillissement cutané et ils peuvent aussi être utilisés comme colorants, mais difficiles à intégrer (instabilité, hydrophobie et interaction avec d’autres ingrédients, chélation des ions métalliques, affinité avec les protéines).
Le plus connu des biophénols à ce jour en cosmétique est le resvératrol (un stilbène), qui peut être extrait de la vigne (ou de la Renouée du Japon et de la grenade également), purifié et stabilisé avec de l’acide oléique. Selon le cépage utilisé et le processus d’extraction, il peut y avoir des différences de concentration importantes. Et les polyphénols sont aussi intéressants en synergie, c’est-à-dire en extrayant tous les polyphénols de leur source végétale, ce qui améliore leur stabilité.
Les phytostérols sont des lipides végétaux présents dans les huiles végétales, et sont utilisés en complémentation contre les excès de cholestérol et en cosmétique pour leur action anti-inflammatoire et de renforcement de la barrière hydrolipidique. Issus d’huiles végétales, on les trouve sous forme de poudre blanche de complexes de phytostérols comme la cholestatine.
Un autre champ de recherche important en cosmétique concerne les probiotiques, pour le micro-biome cutané qui contient de nombreuses bactéries. Les probiotiques ont d’abord été utilisés en compléments alimentaires pour le microbiote intestinal, mais la recherche cosmétique s’y intéresse beaucoup pour la peau (fractions de lactobacillus surtout dans un premier temps). Les fabricants intègrent pour l’instant plutôt des pré-biotiques (sucres complexes sensés nourrir les bonnes bactéries probiotiques, comme l’oligosaccharide) et des post-biotiques améliorant leur milieu (fragments de probiotiques filtrés, acide lactique, omega 3-6) dans les formulations pour aider la peau à retrouver son équilibre. Il y a également un champ d’investigation dans le domaine des déodorants (ce sont les bactéries qui libèrent des molécules odorantes).
L’avenir est à la réfrigération des crèmes qui pourront ainsi mieux intégrer des probiotiques…. et à l’évolution de la réglementation pour pouvoir intégrer des organismes vivants dans un soin cosmétique. Les compléments alimentaires aux probiotiques restent une très bonne alternative, car l’amélioration du microbiote intestinal agira in-fine sur l’équilibre de la peau. Les probiotiques sont produits par fermentation bactérienne de sources végétales. Le choix, le sourcing et la conservation des souches, la filtration et le conditionnement sont des étapes garantes de la qualité des probiotiques.
D’utilisation encore récente en cosmétique, l’Adénosine est un nucléoside (une des briques des acides nucléiques) présent dans les cellules de l’organisme, et utilisé dans le métabolisme pour la production d’énergie. Il joue un rôle dans les processus biochimiques de l’organisme, associé à des groupements phosphate (on parle d’AMP, ADP ou ATP). L’ATP est la principale molécule de transfert d’énergie dans le corps et l’AMP étant utilisée pour la transduction de signaux. L’adénosine, précurseur de l’ATP, est généralement produit par un processus biotechnologique impliquant la fermentation de microorganismes (bacilles). Il est utilisé à des fins médicales (ex. vasodilatateur) et fait l’objet d’une publicité importante pour son effet régénérant et anti-âge supposé. On estime en gros qu’il apporterait de l’énergie aux cellules cutanées, boostant leur effet régénérant. On en trouve de qualité variable.
L’Arginine est un acide aminé indispensable à la synthèse de protéine dans l’organisme, synthétisé en général par fermentation. Il est utilisé dans des soins pour freiner la chute des cheveux, pour maintenir le PH et limiter l’acidité (naturellement alcaline) et aussi comme agent d’entretien de la peau dans des soins anti-âge notamment. On en trouve en poudre avec des concentrations et des qualités variables.
Dernière catégorie d’actifs abordés pour leur utilisation en cosmétique, les caroténoïdes. Ce sont des pigments végétaux donnant leurs couleurs aux végétaux (pas seulement orange), dont font partie les provitamines A (dont le fameux bêta-carotène), qui sont réputés pour leurs vertus antioxydantes et photo-protecteur (anti-UV). Concernant les compléments alimentaires, les autorités de santé européennes se sont d’ailleurs émues des allégations abusives figurant sur de nombreux produits, comme la protection du système immunitaire. Concrètement, en plus des provitamines A et du fameux bêta-carotène, les caroténoïdes les plus connus sont le lycopène, l’astaxanthine, la lutéine, la zéaxanthine. Les modes de production classiques par extraction ou synthèse sont complétés par des labos de biotechnologie qui en produisent par biosynthèse, et ils sont intégrés souvent en synergie avec de la vitamine E et des polyphénols dans les soins à des fin antioxydantes. C’est d’ailleurs ce type de combinaison qu’on retrouve dans de bonnes huiles végétales.
Enfin, un dernier point : on voit aujourd’hui apparaître des crèmes aux extraits de cellules-souches végétales. Les extraits de cellules-souches peuvent être riches en principes actifs, mais ce ne sont pas des cellules-souches d’une part, et d’autre part elles n’interviendront pas dans le mécanisme de régénération cellulaire de votre peau par application d’une crème ou d’un sérum. A ce stade, c’est convoquer l’imaginaire collectif, comme lorsqu’on parle d’ADN. Une crème ne va pas non plus modifier votre ADN, rassurez-vous.