Les marques dermato vous inspirent confiance ? On imagine de petits labos avec des chercheurs, pas de grands groupes industriels, utilisant largement la chimie avec des ingrédients pas tout à fait innocents ? On va prendre un exemple et vous expliquer ça.
Après deux premiers exemples assez différents, je vais prendre un 3ème cas que je trouve assez intéressant. C’est une crème recommandée pour les ados qui ont des problèmes de peau et qui ont du mal à se débarrasser de leur acné. La marque, c’est La Roche-Posay qui est liée au départ à une source thermale spécialisée dans les problèmes de peau, mais qui a été rachetée par le grand groupe de cosmétique international L’Oréal. Le laboratoire situé dans la Vienne a développé un lien avec les dermatologues et les pharmaciens, devenant une marque de référence en dermatologie. Cette crème pour le visage est Effaclar mat hydratant sébo-régulateur, et elle contient 25 ingrédients peu naturels dont certains n’ont pas bonne réputation du tout, on trouve même de nombreux composants ayant défrayé la chronique ces dernières années pour leur nocivité supposée pour la santé. On la trouve dans les pharmacies et parapharmacie, elle est assez distribuée à un prix raisonnable, c’est pour cette raison que ma fille l’a choisie. L’argument commercial est qu’elle réduit les pores, limite la production de sébum, et est anti-brillance (effet matifiant). Il est précisé qu’elle est testée sous contrôle dermatologique.
Les ingrédients principaux sont l’eau et la glycérine, qui est comme nous l’avons déjà vu un des ingrédients très répandu que l’on retrouve très souvent comme solvant, car elle améliore l’onctuosité et la lubrification des préparations. C’est très bien toléré et cela absorbe bien l’eau. C’est un hydratant très utilisé, protecteur, émolliant.
Le Dimethicone (ou PDMS ou E900) est un polymère de silicone très fréquemment utilisé qui est un filmogène protecteur. Il a un effet occlusif mais « aéré ». Comme il apporte également de la douceur aux préparations (effet émollient), il est très souvent intégré dans les compositions, notamment pour compenser l’effet desséchant de certains autres ingrédients. C’est totalement synthétique bien sûr, comme tous les silicones, fabriqué à partir de plusieurs transformations chimiques du silicium, et donc un composant inerte et stable, sans réel effet bénéfique sur la peau. Il conserve l’hydratation par son effet filmogène pendant un moment et apporte de la légèreté à la formulation et une texture agréable.
L’isocetyl stearate est un ester d’alcool isocétylique et d’acide stéarique (par traitement chimique d’une huile végétale généralement). C’est un émollient qui peut se dissoudre dans d’autres liquides, un peu moins fréquent que son cousin le glyceril stearate. L’intérêt est d’avoir une viscosité limitée, permettant d’avoir un film non gras.
L’Alcohol Denat est de l’alcool ou éthanol dénaturé (rendu impropre à la consommation pour ne pas être buvable et non soumis aux taxes, avec des normes précises fixées par l’UE). Il y a des formes synthétiques, les plus pures, mais pour des usages industriels, et des formes d’origine végétale obtenues par fermentation, donnant du bioéthanol. La dénaturation se fait en ajoutant un marqueur chimique ou en ajoutant un agent amérisant (ayant très mauvais goût). Il apporte une sensation de fraîcheur, mais est astringent et peut assécher la peau. On le trouve encore assez souvent mais son usage est critiqué pour ce côté asséchant et irritant.
La Silica (nano) correspond à des nanoparticules minérales de silice. Quand on a de très petites particules (moins de 100 nanomètres, soit moins de 100 millionièmes de millimètres) comme dans ce cas pour la silice, il est obligatoire de le mentionner, car elles sont susceptibles de pénétrer dans les cellules et le CSSC (comité scientifique pour la sécurité des consommateurs) a indiqué dans un avis que le recul n’était pas suffisant pour savoir si cela pouvait avoir un impact sur la santé. Malgré la difficulté à conduire des études, il y a des inquiétudes quant au risque de déstabilisation des réponses immunes. L’innovation de la silice sous forme nano commence à être assez utilisée en cosmétique car elle a un potentiel intéressant pour l’efficacité et la texture des produits, elle augmente leur pouvoir absorbant et apporte un effet anti-agglomérant.
Le Dimethicone/vinyl dimethicone crosspolymer est un silicone, un copolymère croisé de synthèse, agent de viscosité qui améliore la texture du produit en le rendant plus soyeux et utilisé comme stabilisateur d’émulsion. Il est souvent utilisé en combinaison avec le Dimethicone. Les silicones, ingrédients totalement synthétiques, n’ont pas une bonne réputation pour l’organisme et pour l’environnement, même si le CIR considère que les molécules forment un assez gros maillage pour ne pas pénétrer la peau et lui permettre de respirer.
L’Acrylamide/sodium acryloydimethyltaurate copolymer est aussi un polymère de synthèse, également un agent de viscosité stabilisateur d’émulsion qui produit un effet filmogène. Le Methyl methacrylate crosspolymer est encore un polymère de synthèse, agent de viscosité, produisant un effet filmogène. Ces polymères poreux permettent selon les recherches d’absorber l’excès de sebum ou les huiles productrices d’acné.
Le Butylene glycol est un alcool organique hydrophile, c’est un solvant assez utilisé car ayant un effet humectant. Il existe sous forme synthétique, issue de la pétrochimie, ou d’origine végétale, par fermentation. C’est le moins irritant des glycols, mais il peut néanmoins provoquer de petites irritations.
Le PEG-100 Stearate est un ester de polyéthylène glycol et d’acide stéarique. C’est un émulsifiant tensioactif (contribue à la répartition uniforme du produit lors de son utilisation). Il est en plus un agent de texture. Les PEG ont été décriés pour leur fabrication polluante et leur mauvaise biodégradabilité, et certaines études ont considéré qu’ils pouvaient contenir des impuretés nocives pour la santé (oxyde d’éthylène, 1,4-dioxane, HAP, arsenic), et il est donc conseillé de les éviter pour les peaux sensibles ou allergiques. Néanmoins, aucun risque pour la santé n’a été véritablement démontré et ils continuent à être utilisés même si nous allons pour notre part bien sûr les éviter.
La Cocamide Mea est synthétisée à partir d’acides gras d’huile de coco et d’éthanolamine. C’est un émulsifiant tensioactif. Elle fait partie des produits réputés comme pouvant former des nitrosamines cancérigènes. Il faut éviter que les molécules restantes d’éthalonamine du produit ne réagissent avec des nitrites (qui peuvent apparaître lors de la dégradation de certains conservateurs lorsque des cosmétiques sont exposés à l’air). Ce n’est pas supposé se produire, néanmoins, il arrive régulièrement que des analyses montrent la présence de nitrosamines. Ces ingrédients Dea, Mea et Tea ont également une mauvaise réputation en matière d’environnement et pourraient entraîner des réactions d’irritation de la peau. Par principe de précaution, il est donc recommandé de les éviter.
On continue la liste des ingrédients de notre crème dermatologique. L’ingrédient suivant, la Sarcosine est un dérivé synthétique d’acide aminé (issu de la glycine) utilisé en cosmétique et en complément alimentaire (et même dans certains traitements médicamenteux). C’est un agent d’entretien de la peau et un des principes actifs de cette crème pour réduire l’effet peau grasse, resserrer les pores, éliminer l’excès de sébum et matifier. Elle permet en fait d’améliorer la pénétration des autres substances dans la peau et est donc à intégrer avec précaution dans une formulation. De même, il faudrait éviter la nitrosylation de cette protéine qui est suspectée d’être cancérigène (nitrososarcosine).
Le Glyceryl Stearate est obtenu par estérification de la glycérine avec de l’acide stéarique (souvent issu d’une huile végétale). C’est émulsifiant qui est aussi émollient (adoucissant la peau) et fréquemment utilisé.
La Triethanolamine (ou TEA) est fabriquée à partir de 2 produits toxiques, l’oxyde d’éthylène et l’ammoniac. Elle est utilisée comme ajusteur de PH et comme émulsifiant épaississant. En tant qu’amine, elle est aussi soupçonnée de former des nitrosamines cancérigènes lors de contact avec de la nitrite. Des études ont également indiqué que la TEA pouvait être toxique pour la peau, le système immunitaire et les voies respiratoires, particulièrement si le produit est appliqué près de la bouche ou des yeux. Sa concentration est réglementée en Europe. Au passage, c’est le principe actif de la Biafine, car cela a un effet analgésique sur les brûlures superficielles et on la trouve dans de nombreuses crèmes, malgré les risques de toxicité.
L’Isohexadecane est une huile minérale (issue d’un dérivé pétrochimique) qui sert de solvant et a une fonction émolliente.
La Perlite est un minéral léger d’origine volcanique, qu’on trouve plutôt dans les déodorants ou les gommages (à la places billes en plastique, comme exfoliant). Elle est aussi utilisée en horticulture. Cela ressemble à du verre (composé de silicium et d’aluminium principalement). Dans une crème, la perlite permet une abrasion douce, une absorption élevée et un effet matifiant.
Le Capryloyl salicylic acid est un ester d’acide salicylique développé par l’Oréal. C’est un agent d’entretien de la peau susceptible d’améliorer la production de collagène et la pigmentation. Il est anti-inflammatoire et anti-séborrhéique. Il n’a pas bonne réputation car il est suspecté d’être un perturbateur endocrinien, tout comme l’acide salicylique. Il faut faire attention également à son potentiel photo-sensibilisant.
Le Tetrasodium EDTA est un agent chélateur très efficace (pour neutraliser les métaux lourds) utilisé depuis longtemps pour la stabilité et la conservation des cosmétiques. Il permet de freiner l’oxydation des produits à l’air, et de capturer le calcium. Il n’est pas problématique pour la santé en soi, mais il a un impact très négatif sur l’environnement, non biodégradable et nocif. Il se retrouve dans l’eau et nous le réingérons, avec ses métaux lourds. Certaines études affirment qu’il serait faiblement toxique en augmentant la porosité de la peau, mais ce n’est pas vraiment avéré.
Le Pentylene Glycol est un bi-alcool d’origine synthétique ou végétale, dans ce cas issu de canne à sucre ou de maïs. C’est un solvant qui permet de stabiliser les mélanges, car il ne réagit pas vis-à-vis des composés. C’est un agent ayant aussi une légère action humectante qui, grâce à ses propriétés hydrophiles, contribue à retenir l’eau à la surface de l’épiderme. Il a également un effet antibactérien et donc conservateur.
Le Polysorbate 80 (connu aussi sous la marque Tween 80) est un additif de synthèse (E433) produit par éthoxylation à partir de sorbitol partiellement estérifié avec un acide gras, utilisé dans de nombreux cosmétiques comme agent de texture en tant qu’émulsifiant et tensioactif, qui aide les ingrédients à se mélanger et aide à la répartition uniforme du produit lors de son utilisation. Il est réputé non irritant en cosmétique, mais critiqué en additif alimentaire pour des altérations potentielles du fonctionnement intestinal et risques cancérigènes. On peut craindre aussi la présence de résidus nocifs (oxyde d’éthylène, dioxane, éthylènes glycols). Il existe quelques cas d’allergies de contact reportées dans la littérature médicale.
L’ Acrylates/C10-30 Alkyl acrylate crosspolymer ou AACP (noms commerciaux Carbopol ou Permulen) est un copolymère de synthèse (un dérivé lointain de plastique), c’est un agent épaississant stabilisateur d’émulsion ayant des propriétés filmogènes. Les processus de fabrication doivent s’assurer que l’acrylate ne soit pas polymérisé en benzène, qui est toxique. Les acrylates sont assez utilisés car ils donnent du « gonflant » à la préparation, mais ils sont critiqués car considérés comme étant potentiellement irritants pour la peau, voire même selon certaines publications cancérigènes, neurotoxiques et reprotoxiques, ce qui est effectivement possible pour certains produits comme des colles industrielles mais très peu vraisemblable aux doses très faibles présentes dans les cosmétiques.
Le Salicylic acid (acide salicylique) est un BHA qui existe à l’état naturel dans certaines plantes (dont l’écorce de saule) mais est généralement synthétisé avec du phénol et acidifié (ancien process Kolbe). Il est assez efficace et largement utilisé pour ses vertus exfoliantes et kératolytiques comme agent d’entretien contre les imperfections de la peau avec des propriétés anti séborrhéiques, soulageant l’inflammation de la peau dans les zones de séborrhée, et aussi comme conservateur, grâce à son action antimicrobienne. Sa concentration est très réglementée, et il doit être évité dans les produits pouvant conduire à une inhalation ou dans les produits bucco-dentaires et pour les enfants de moins de 3 ans. Il est suspecté d’être un perturbateur endocrinien et il est classé CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique) catégorie 2, suspecté mais sans informations disponibles suffisantes. Il a un petit effet photosensible.
Le dernier ingrédient est juste intitulé Parfum, et c’est toujours ce défaut de la liste INCI, car derrière ce terme lapidaire peuvent se cacher de nombreuses molécules allergisantes. Les fabricants ont obtenu de ne pas en préciser davantage pour leur secret de fabrication
La composition de cette crème est très chimique, il n’y a pas grand-chose de naturel à part l’eau et à la limite l’alcool (que tout le monde n’apprécie pas) et la perlite (qui est un minéral), et encore. Il y a surtout beaucoup d’ingrédients assez controversés depuis ces dernières années, ce qui signifie de notre point de vue que son usage devrait être ponctuel et limité, afin de ne pas avoir une exposition durable et importante à ces substances dont l’innocuité n’est pas évidente. D’un point de vue du risque pour la santé, et du risque pour l’environnement, ce produit n’est pas neutre. En cas de besoin express, il peut s’envisager, mais en usage normal, à titre personnel, je préférerais quelque chose de plus soft, de moins agressif.