L’Urucum

Vous êtes-vous déjà intéressés à une substance star ? Savez-vous qu’il en existe de nombreuses assez méconnues, comme l’Urucum par exemple ? Et vous êtes-vous déjà dit que la qualité d’un ingrédient pouvait être essentielle et pourtant très variable ?

On va rentrer directement dans le vif du sujet, on va parler qualité des ingrédients. Si vous êtes un tout petit peu gastronomes, vous savez qu’entre 2 huiles d’olive ou entre 2 jus d’orange, il peut y avoir de grandes différences, même si la composition indique 100% olive ou 100% orange. La qualité des ingrédients, la façon dont ils sont élevés, cueillis, la manière de produire ensuite, d’emballer, de conserver, de transporter, tout cela change totalement les qualités du produit. C’est pareil pour nos ingrédients cosmétiques. Et par exemple, ceux qui se sont penchés sur les achats alimentaires savent que quand un produit est en poudre, c’est encore pire. Quand on achète un fruit entier, on peut voir l’état du fruit, on peut s’assurer qu’il n’y a que du fruit aussi. Mais quand on achète une poudre, il peut y avoir n’importe quoi dedans, c’est le cas d’ailleurs des épices en poudre. Et c’est le cas des ingrédients cosmétiques en poudre. Je vous parle de poudre parce que je vais prendre en exemple un produit dont Gwen va vous parler, l’Urucum.

C’est de saison, l’Urucum est un bon préparateur solaire, dont le composant principal, la bixine, est riche en béta-carotène qui stimule la mélanine. Elle vous expliquera son utilisation et ses bienfaits, tandis que je vais juste en parler pour illustrer les questions de sourcing des ingrédients. C’est une poudre produite à partir de l’écorce des fruits du roucouyer, un arbre venant au départ d’Amérique du Sud. C’est un ingrédient intéressant car c’est très concentré en béta-carotène (provitamine A), et cela contient aussi de la vitamine E et quelques minéraux intéressants (zinc, sélénium, calcium, magnésium, potassium entre autres). C’est donc très bien pour le bronzage et également intéressant comme anti-oxydant. C’est aussi utilisé comme colorant alimentaire rouge (E160b) ou comme aromate en cuisine dans certains pays (il est même parfois appelé safran du pauvre). Pour l’anecdote que vous allez retrouver sur tous les sites bios qui font la promotion des superaliments, les indiens l’utilisaient aussi en application cutanée contre les moustiques, on les appelait pour cela les peaux-rouges. Anecdote plus pointue, les femmes en Inde se l’appliquent en dessous de la racine des cheveux pour indiquer qu’elles sont mariées. Les fans lui prêtent d’innombrables vertus, anti-inflammatoire, protecteur cardiaque, antiride, protecteur, apaisant, cicatrisant, antiseptique, etc… mais la principale propriété pour la peau est liée au taux de béta-carotène qui est un des meilleurs précurseurs de la vitamine A, activateur de la mélanine. Cette production de mélanine par les cellules de la peau protège naturellement du soleil, mais cela, Gwen va vous l’expliquer bien mieux que moi.

Pour revenir à l’ingrédient lui-même, L’Urucum n’est pas produit en France, il est importé. Il existe sous différentes formes : en huile, en pâte mais surtout en poudre et également directement en graines. Sur les plateformes de commerce international de matières premières, on peut par exemple acheter un container de 20 pieds rempli de sacs de 150 kilos de graines d’Urucum à réceptionner au port du Havre. La production mondiale doit atteindre environ 12000 tonnes. Les plantations sont maintenant présentes dans presque toutes les zones tropicales, la zone historique, en Amérique du Sud (Brésil, Pérou, Guyane, Vénézuela) et en Amérique Centrale (Mexique, Nicaragua, Caraïbes), mais aussi en Afrique de l’Est et de l’Ouest (par exemple au Kenya et en Côte d’Ivoire) et enfin la nouvelle région qui monte, l’Asie du Sud-Est (Inde, Sri Lanka, Philippines). La plante a d’ailleurs plusieurs noms selon la géographie : urucum, roucou, achiote, annatto, Sinduri ou sindoor (concrètement, sur les 11000 tonnes mondiales annuelles, 60% viennent d’Amérique du Sud dont 32% du Pérou, 27% viennent d’Afrique, surtout du Kenya, et 12% viennent d’Asie).

Le point principal va être la qualité des graines, d’abord visuelle, avec leur bon niveau de maturité, l’absence de graines avariées, de déchets autres, puis la qualité du séchage qui a été effectué (bien sec mais pas à trop haute température). On va ensuite contrôler que la quantité de bixine (la substance qui apporte la bêta-carotène) est dans la norme haute, on va contrôler le taux d’humidité pour vérifier qu’elles sont bien séchées et ne vont pas pourrir, on va contrôler le taux d’impuretés pour savoir si on a bien des graines uniquement et pas les arbres entiers avec les feuilles, les insectes … voire les déjections de souris si la matière a été stockée pendant quelques temps dans un entrepôt pas très bien fermé.

Dans notre cas, nous nous attacherons à ce que ce soit en production Bio, et vérifier dans quelle norme bio, c’est-à-dire avec quel niveau de contrôle, quelle fréquence d’inspection, quels standards. Nous recherchons aussi, particulièrement quand nous avons ce type d’ingrédient exotique, des filières éthiques de commerce équitable avec de petits producteurs en coopérative et un achat direct de la récolte. Il faut faire attention à ce point car il y a eu beaucoup d’abus avec les filières de commerce équitable, qui ont été utilisées comme un argument marketing pour un prix final plus élevé, et dans lesquels de grands groupes se gardaient la marge en continuant de sous-payer les petits producteurs. Et par exemple, Il faut faire attention bien sûr à ce qu’il n’y ait pas déjà eu de traitement d’extraction sur vos graines, car sinon, votre Urucum ne sera plus bon qu’à nourrir du bétail.

Dernier éclairage, la plantation elle-même. Je continue sur ma lancée, en faisant des posts un peu plus costauds maintenant, vous n’êtes plus des amateurs ! En Inde, par exemple, qui est une filière récente, l’Urucum ou Sinduri est exploité commercialement depuis 15 ans environ (une plantation dure entre 15 et 20 ans). Les fleurs sont souvent arrachées pendant la période de croissance afin d’obtenir plus de biomasse. Les fruits apparaissent de septembre à mars, avec des graines couvertes d’une fine écorce orange vif. Il est nécessaire de savoir quel antifongique, quel antiparasitaire et quel engrais sont utilisés et dans quelle quantité. La récolte a lieu à partir d’octobre, en fonction du stade de séchage des capsules et du développement de craquelures sur celles-ci. Les capsules sont récoltées en grappes manuellement. Le séchage traditionnel nécessite d’étaler les grappes sur des tissus à mi-ombre pendant 7 jours. Les gousses séchées sont battues pour enlever les graines, qui sont séparées et vannées puis stockées dans des sacs de jute dans des endroits frais et secs. Le prix de marché est de moins de 100 roupies le kilo en moyenne pour les graines sur les places de marché indiennes, soit 1,5 euros le kilo, mais sans avoir une filière bien maîtrisée et contrôlée. On en trouve même sur Alibaba, présenté comme une épice culinaire substitut moins coûteux au safran.

Il n’y a pas de production française, et les importateurs des filières bio se tournent encore surtout vers les pays producteurs historiques de l’Amérique du Sud, souvent sous forme de poudre conditionnée en gélules. La poudre est une forme qui ne permet pas visuellement de s’assurer de la qualité d’un produit, il est nécessaire de mettre en place des contrôles de concentration en bixine, de taux d’impuretés et de taux d’humidité notamment.

Les prix des premiers importateurs français, comme Guayapi, restent assez élevés, à plus de 300€ le kilo. C’est pourquoi, nous préférons de nouveaux fabricants de cosmétiques exotiques, comme Waam Cosmetics en région parisienne, ou de petits importateurs récents, comme Terre & Symbiose dans le Sud de la France. Vous pourrez aussi facilement trouver la marque bordelaise de compléments alimentaires Jolivia, qui est très distribuée, y compris en grande distribution. Il y aussi des acteurs importants à l’étranger, comme Natur Green en Espagne, mais il est plus difficile de bien comprendre le niveau de qualité de leur filière de production.

On trouve aussi de l’Urucum dans des compléments alimentaires, comme Solgar ou Oenobiol, mais à un dosage souvent faible et à un coût élevé.