Les dentifrices, c’est un produit d’hygiène à part, car on en mange forcément quelques kilos au cours de sa vie et au cours de son enfance en particulier, donc ce qu’il contient est sensible.
Le dentifrice est soumis aux réglementations relatives aux produits cosmétiques, alors que c’est quasiment un produit alimentaire que vous consommez quotidiennement, certes en petite quantité. A ce titre, il mérite une attention particulière. Il est accompagné de beaucoup de promesses : de blancheur, de soin de l’émail, des gencives, etc…
Je ne sais pas si vous avez entendu parler de l’histoire du Triclosan ? Le Triclosan est un antibactérien (biocide) qui attaque la flore de la peau et des muqueuses, qui est un allergène de contact et a acquis une très mauvaise réputation. Sa quantité a été limitée dans les produits, mais l’industrie cosmétique (et au-delà) en mettait partout car c’était pratique, et on a constaté un problème d’exposition répétée cumulée particulièrement élevée chez les consommateurs américains. On en trouvait dans tous les cosmétiques, maquillages, parfums et produits d’hygiène (savons, déodorants) et même au-delà. On en trouvait aussi dans beaucoup de dentifrices. Or, il est soupçonné d’être un perturbateur endocrinien, il provoque des réactions inflammatoires, il semble avoir des effets négatifs sur le microbiote intestinal dont il diminue la diversité, et est soupçonné d’être cancérigène ou de favoriser la croissance de cancers préexistants. Il passe à travers la peau et les muqueuses, et en raison de sa stabilité, on le retrouve dans les urines puis dans les eaux superficielles.
Les fabricants de dentifrice ont, dans leur grande majorité, sorti de nouvelles formules sans triclosan, même s’il n’est pas interdit dans les dentifrices en Europe, mais il y a encore pas mal d’autres points négatifs dans les ingrédients que vous allez trouver aujourd’hui dans la composition de nombreux dentifrices. On va voir cela ensemble.
Il y a tout d’abord un sujet très débattu, sur lequel il ne semble pas évident a priori d’avoir un avis tranché, c’est celui du fluor dans le dentifrice. Ces dernières années, il y a eu pas mal de publications diverses sur les risques d’un surdosage cumulé de fluor, particulièrement chez l’enfant. En réaction, les dentifrices bio ont remplacé assez largement le fluor par des plantes et huiles essentielles. Les professionnels du soin dentaire alertent maintenant sur le risque d’augmentation des caries dentaires, le fluor restant le meilleur moyen connu de renforcer l’émail des dents, notre mode de vie entraînant un risque carieux. Et il faut bien dire que les doses de fluor dans les dentifrices non médicamenteux restent limitées et que le risque de surdosage, en France, est en réalité extrêmement faible. Rejeter totalement le fluor est donc excessif. Et les allergies au fluor sont dans les faits très rares, il y a plutôt des allergies aux additifs (arômes, conservateurs, parfum) ou des irritations aux tensioactifs type SLS (j’y reviens plus loin).
Par conséquent, mon avis est que, si vous avez un risque carieux lié à votre patrimoine génétique ou votre mode de vie, le fluor reste utile dans la mesure où vous n’avez pas d’autre source suffisante (par exemple, complémentation par cachet de fluor ou très grande consommation d’eau minérale fluorée du type Vichy Saint-Yorre). On pratique moins systématiquement la supplémentation pour les enfants qu’il y a 20 ans ; et les marques indiquent même maintenant sur les emballages de surveiller les enfants pour qu’ils n’absorbent pas de quantités excessives de dentifrice et de n’utiliser que le fameux « petit pois » de dentifrice. En se documentant, on trouve des études (AFSSAPS, OMS, UFSBD, ANSES) et on trouve aussi beaucoup d’articles à la limite de la fake-news sur les surdosages en fluor. C’est toxique à très haute dose, pas à celle d’un dentifrice cosmétique. Et il y a peu de fluor dans l’eau du robinet en France (il n’y a pas d’ajout volontaire comme aux USA, en Australie, au Brésil, au Canada) et, si la dose doit être inférieure à 1,5mg/litre, elle est par exemple de 0,17 mg/litre à Paris.
Il y en a sensiblement plus dans les eaux minérales : la plus consommée en France, la Cristalline, en contient par exemple en moyenne 1,1 mg/litre. D’autres produits, comme le sel de cuisine, peuvent aussi être complémentés en fluor par les fabricants (c’est la Suisse qui l’a fait en premier).
En synthèse, la dose quotidienne recommandée doit être de 1,5 mg pour un enfant et entre 2 et 2,5 mg pour un adulte. Or, les dentifrices du marché contiennent entre 100 et 150 mg de fluor pour 100 grammes (un tube fait généralement 75 ml). La dose maximale est de 0,15% (1500ppm). Cela voudrait dire 1 gramme de dentifrice pour un enfant et 2 grammes pour un adulte par jour si vous l’absorbiez totalement.
Un autre aspect à regarder est l’abrasivité de certains dentifrices « sourire » ou « dents blanches », qui peut contribuer dans la durée à user un émail fragile et à fragiliser les colliers pour les gencives sensibles. Il y a même un indicateur qui la mesure, le RDA, qui est indiqué sur certains dentifrices (pas tous, car ce n’est pas obligatoire). Pour un usage quotidien, il est préférable de rester à un RDA limité à 20 ou 30 au maximum. Pourtant, ces agents abrasifs ou agents blanchissants sont fortement dosés dans certains dentifrices (jusqu’à 60% du produit). Cette abrasivité peut être obtenue avec du carbonate de calcium (du calcaire), du bicarbonate de sodium, du kaolin ou de la silice hydratée (ou bien de la Silice – Silica, un peu plus agressive). L’usage dépend de la taille des particules (abrasif ou épaississant), plus les particules sont grosses, plus la friction est importante.
De nombreuses publications ont critiqué la silice hydratée, parlant de nanoparticules. En fait, les particules de silice sont dangereuses en inhalation (un peu comme l’amiante), mais en dentifrice, c’est très peu probable. L’avis de la CSSC ne relève pas de danger, et la FDA la répertorie comme sûre, se basant sur un historique assez long d’utilisation alimentaire. Et, au passage, ne pas confondre bien sûr la silice hydratée (acide silicique) avec l’acide salicylique, anti-acné, classé CMR catégorie 2 (cancérigène, mutagène, reprotoxique) qui n’est pas utilisé dans les produits bucco-dentaires.
Par contre, les dentifrices maisons risquent d’être trop abrasifs. Plus de vigilance est nécessaire dans le domaine du DIY (Do It Yourself). Les muqueuses de la bouche et les gencives sont fragiles, et il y a un équilibre bactérien (un microbiote) à ne pas trop agresser. Or, on voit un peut tout et n’importe quoi. Une alternative simple peut être d’alterner les dentifrices pour équilibrer.
On aime généralement les dentifrices bien blancs, il y a donc très souvent des colorants blancs qui ne sont pas très bons, comme le fameux et décrié Titanium Dioxide (CI – E171). Ce colorant controversé est irritant et soupçonné d’être cancérigène quand il est ingéré, il ne doit plus être intégré dans les produits alimentaires ; pourtant, certains dentifrices en contiennent encore.
Des dentifrices antitartre utilisent des additifs chimiques comme les pyrophosphates (utilisés aussi en additifs alimentaires), qui sont susceptibles d’entraîner des réactions d’ulcération ou d’érythème des muqueuses, mais il n’y a pas d’avis ou d’études réellement conclusifs à ce stade en la matière.
Il y a parfois aussi encore des dentifrices contenant du Propylène Glycol (PG), qui peut entraîner des irritations, voire des allergies, et il est préférable de l’éviter.
Un autre ingrédient-phare encore très présent est le Sodium Lauryl Sulfate (SLS) qui fait partie des tensioactifs irritants, car c’est un détergent puissant (il est même utilisé pour le nettoyage industriel des moteurs). Il est très utilisé par l’industrie cosmétique comme nettoyant dans les gels douche et aussi les dentifrices. C’est moussant et pas cher. Son cousin, le Sodium Laureth Sulfate, est encore plus critiqué. Les fabricants savent qu’il est irritant et combinent donc souvent avec un autre tensioactif plus doux. En dentifrice, il est susceptible d’altérer les protéines des cellules des muqueuses, provoquant des inflammations qui peuvent se traduire par des aphtes.
Les fabricants bio ont introduit de nombreux ingrédients naturels : le sel tout d’abord qui a plusieurs intérêts mais dont le principal est de stimuler la production salivaire, la salive étant essentielle dans l’hygiène bucco-dentaire.
Il y a une vogue des dentifrices bio à l’argile (bentonite ou argile verte illite) ou au kaolin (parfois appelé argile blanche). Il y a des débats, les partisans mettent en avant les traditions ancestrales d’ingestion d’argile, tandis que l’ANSM met en garde contre le risque d’ingestion de métaux lourds (le plomb en particulier) que l’argile capte très efficacement. Cela veut dire qu’encore plus qu’habituellement, il faut être certain de la qualité de l’ingrédient (et des mesures de taux de plomb effectuées par le fabricant). Les argiles sont riches en minéraux, particulièrement l’argile verte, le kaolin l’étant beaucoup moins. Mais surtout, en dentifrice, il faut faire attention au risque d’utiliser une argile trop abrasive.
On voit aussi du bicarbonate de soude qui a certes un PH alcalin et peut donc réduire l’acidité, mais risque également d’être trop abrasif. Le charbon, c’est encore pire, il est souvent très abrasif, et ne doit donc pas être utilisé quotidiennement.
Certains dentifrices intègrent des produits de la ruche comme la propolis, pour ses propriétés antiseptiques et cicatrisantes. Il y a un potentiel allergène, donc un risque d’irritation à surveiller.
Certains dentifrices intègrent du citron pour ses qualités antiseptiques. On trouve même des tutos sur internet pour des soins bucco-dentaires au citron. Il faut y aller doucement, le citron, ça attaque.
Il y aussi du xilytol, un édulcorant naturel à base de bouleau, utilisé à la place du classique sorbitol, qui est classifié en agent dentaire (augmente le PH buccal et la salivation). Il est en général bien toléré, sauf quelques cas d’intolérance digestive (mais pas dans les quantités présentes dans les dentifrices).
On croise aussi parfois de l’huile de coco, pour de supposées vertus antibactériennes, mais ce n’est absolument pas démontré.
L’inventivité des fabricants va plus loin avec l’apparition du meswak ou siwak (ou miswak, siwek, souak, bâton d’araq), un arbuste tropical traditionnel (proche et moyen-orient, inde), qui est intégré dans certains dentifrices, et peut aussi être vendu en poudre ou en bâtonnets. Comme pour l’urucum, on peut en trouver sur les plateformes de commerce international, la demande augmente, donc les prix aussi (0,1 USD le bâtonnet ou 5 USD le kilo de poudre). Une nouvelle fois, il y aura un sujet de maîtrise de la qualité de la production de cet ingrédient, et donc de filière et de contrôles.
Parmi les plantes et épices, on trouve souvent de la sauge ainsi que de la cannelle. Toutefois la cannelle a un potentiel allergène, et doit être dosée avec précaution pour ne pas entraîner d’irritations.
Enfin, on trouve de nombreux dentifrices bio contenant des huiles essentielles (clou de girofle, menthe poivrée, laurier noble). J’aime beaucoup, mais je rappelle une nouvelle fois que les huiles essentielles sont des ingrédients très actifs, à manier avec précaution, encore plus sur les muqueuses buccales.
On observe des allergies au dentifrice qui se manifestent sous forme de dermatite de contact. C’est le plus souvent lié aux arômes. Il y aussi des irritations qui se manifestent, généralement aux tensioactifs (même en bio comme avec la bétaïne de cocamidopropyle – en plus, ces tensioactifs ne sont pas toujours très propres à produire).
Je vais être obligé de tomber dans un lieu commun, je n’aime pas faire ça, mais en matière de soin bucco-dentaire, l’hygiène de vie et en particulier l’alimentation sont importantes. Vous avez tous déjà entendu depuis votre enfance que l’excès de sucre, le grignotage, le tabagisme sont autant de facteurs de caries et de gingivites. Il y aussi bien sûr des facteurs héréditaires.
Et dernier point d’attention, il y a une incidence des médicaments. Tout bêtement, les sirops pour enfants qui sont très sucrés, mais aussi des antibiotiques de la famille des cyclines qui risquent de déminéraliser les dents. Et il y aussi d’autres médicaments (antidépresseurs, neuroleptiques, opioïdes, certains anticancéreux, certains médicaments contre les maladies cardiovasculaires) qui peuvent perturber la salivation et avoir donc indirectement une incidence non négligeable sur l’hygiène bucco-dentaire.
Je fais des posts un peu plus longs, car vous êtes maintenant des auditeurs aguerris, je vais continuer avec un petit tour d’horizon des fabricants de dentifrice. Parmi ceux qui ont conservé le fluor dans leurs ingrédients, il y a la marque française Buccotherm, et la marque allemande Lavera. Parmi les marques qui ont arrêté le fluor pour l’essentiel de leurs produits, on trouve le danois Urtekram et l’allemand Ben & Anna. Ceux qui font systématiquement des dentifrices sans fluor sont les anglo-saxons (leurs eaux sont supplémentées en fluor) comme Desert Essence, Dr Bronners, Jason Natural Care, Grants of Australia, The Green Beaver Company, Jack n’ Jill. Mais aussi des français, comme Centifolia ou Naturado (qui essaie un packaging gel type flacon-pompe), des allemands comme Eco Cosmetics et des suisses comme Naturaline Coop.
Enfin, en France, on trouve aussi des dentifrices spécialisés comme Argiletz pour l’argile, Aprolis et Ballot-Flurin pour la ruche.
Pour finir, un rapide clin d’œil : la théorie du tube de dentifrice a été popularisée par l’auteur Peter Singer, au sujet de l’activiste américain de la cause animale Henry Spyra, qui expliquait qu’une succession de petites actions répétées permettait de faire avancer une cause en exerçant une pression modérée mais continue …